Cet article sera publié en 3 parties. 1ère partie le dimanche 15 mai, 2ème le dimanche 22 mai et dans son intégralité le dimanche 29 mai 2022.

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AIMER NOS ENNEMIS

UNE EXIGENCE IMPOSSIBLE MAIS NÉCESSAIRE

 

PASTEUR FRÉDÉRIC FOURNIER

Nous connaissons toutes et tous dans nos communautés spirituelles des tensions voire des conflits. Jésus propose à ses disciples ainsi qu’à tout être humain en quête de progrès humain et spirituel un remède radical pour sortir des conflits :

 

" Aimez vos ennemis". Je vais être honnête avec vous. Je vais exposer un conseil évangélique qu’à titre personnel, je n'arrive quasiment pas à mettre en pratique. Pourtant, le Christ propose de tendre vers un idéal même s’il est particulièrement difficile à atteindre.

 

Tout d’abord, lisons le témoignage que nous donne saint Luc dans son évangile au chapitre 6 :
En ce temps-là, Jésus déclarait à ses disciples :


« Je vous le dis, à vous qui m’écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient. À celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue. À celui qui te prend ton manteau, ne refuse pas ta tunique. Donne à quiconque te demande, et à qui prend ton bien, ne le réclame pas. Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux.
Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment. Si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs en font autant. Si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir en retour, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs prêtent aux pécheurs pour qu’on leur rende l’équivalent.
Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants.
Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés ».
 
Mais que signifie aimer ses ennemis ? Comment faire ? Le Christ nous promet une récompense. Quelle est-elle ?

1/ Est-il possible d’aimer ses ennemis ?
Comprenons-nous bien. Aimer ses ennemis ne veut absolument pas dire avoir de l'affection pour eux. C'est psychologiquement impossible à moins d'être atteint d’une perversion masochiste ou du syndrome de Stockholm. Malheureusement la langue française ne dispose que d’un verbe pour exprimer de fait d’avoir de l'amour : "aimer". Or, la langue grecque dans laquelle écrit saint Luc dispose de plusieurs verbes selon le type d'amour (par exemple l’amour dû à un manque « EROS », l’amour envers ses amis « PHILIA ». Dans ce passage, saint Luc emploie le verbe « AGAPEIN » qui signifie, non pas avoir de la tendresse pour autrui, mais souhaiter le bien, l'harmonie, la paix pour quelqu'un.
Par exemple, le pasteur Martin Luther King grand défenseur de la cause des Noirs Américains ne pouvaient pas avoir de l'affection pour les Américains racistes du Ku Klux Klan qui agressaient, tuaient et terrorisaient les Noirs. Voici d’ailleurs ce qu'il dit à propos de Jésus qui invite à aimer ses ennemis : « Pour ma part, je suis heureux que Jésus n'ait pas dit : "Ayez de la sympathie pour vos ennemis" parce qu'il y a des personnes pour lesquelles j'ai du mal à avoir de la sympathie. La sympathie est un sentiment d'affection et il est impossible d'avoir un sentiment d'affection pour quelqu'un qui bombarde mon foyer. Il m'est impossible d'avoir de la sympathie pour quelqu'un qui m'exploite. Non aucune sympathie n'est possible pour quelqu'un qui jour et nuit menace de me tuer ; mais Jésus me rappelle que l'amour est plus grand que la sympathie, que l'amour est une bonne volonté, créatrice, rédemptrice envers tous les êtres humains ».
Ainsi, un Noir Africain ne peut pas avoir de l'affection pour un raciste. Mais il peut l'aimer, c’est à dire, souhaiter que ce raciste s’amende, se rachète, retrouve la paix intérieure et mette les Blancs comme les Noirs sur un pied d'égalité. Une femme ne peut pas avoir, non plus, de l'affection pour un collègue sexiste. Mais elle peut l'aimer, c'est à dire souhaiter que cet homme s’amende, se rachète, retrouve la paix et considère avec équanimité les hommes comme les femmes. Les exemples pourraient être multipliés à l'infini.

Mais, qui sont nos ennemis ? Qui sont ceux qui par leur comportement (pas forcément toujours violent, ce peut être par des incivilités, de l'impolitesse, une manière sèche de parler) nous indisposent et sont en quelque sorte nos "ennemis" ?
Qui sont ceux qui par leur mode de pensée politique, philosophique ou religieuse nous heurtent et sont comme nos "ennemis" ? Sommes-nous prêts à essayer de les aimer ? Sommes-nous prêts à souhaiter qu'ils soient dans la paix et l'harmonie ? Sommes-nous prêts à ce qu'ils guérissent de leurs blessures ? D’ailleurs, dès qu’ils auront retrouvé la paix et l'harmonie, il est fort probable que nos ennemis changeront leur comportement et leur manière d'être dans la vie en général et en particulier avec nous.

Jésus invite donc ses disciples à aimer leurs ennemis, c'est à dire à leur souhaiter la paix. Mais ne serait-ce pas de la lâcheté ?

 

2/ Comment aimer ses ennemis ?

Quand Jésus demande à ses auditeurs de tendre l’autre joue si on les gifle, il utilise un style hyperbolique. C'est à dire qu'il exagère volontairement ses propos pour bien se faire comprendre. Si un collègue nous dit : « Aujourd'hui, je suis débordé, j'ai trois millions de choses à faire », nous comprenons qu’il j'exagère volontairement pour exprimer simplement que son emploi du temps est très chargé et qu’il ne faut donc surtout pas lui donner un travail supplémentaire à effectuer. Mais, il n'a évidemment pas trois millions de tâches à accomplir.
Par cette exagération de langage, Jésus n’invite pas ses disciples à la lâcheté ou à la passivité. D’ailleurs, pris au sens littéral, "tendre l'autre joue" équivaudrait à ne pas prendre soin de soi, voire même à encourager l'autre à s’enfoncer dans la violence. Jésus invite simplement à ne pas répondre à la violence par la violence mais plutôt à essayer de désamorcer la violence. Hélas, l’actualité internationale montre que lors d'un conflit entre deux pays, si l'un répond par la violence à la violence, cela va amener l'autre à être encore plus violent.
L’escalade de la violence est la même entre deux personnes. A une insulte, la réponse peut être une autre insulte, puis une insulte encore plus forte, puis éventuellement des gestes de menace, voire de la violence physique.   
Martin Luther, le père de la Réforme protestante donne cette parabole : deux chèvres se croisent sur un pont très étroit. Elles ne peuvent pas passer l'une à côté de l'autre. A cause de leur morphologie, elles ne savent pas reculer pour laisser passer l'autre. La première solution serait la violence. Se battre jusqu'à ce que l'une des deux tombe du pont et puisse ainsi laisser passer l'autre. Finalement une des deux qui aurait pourtant la force de se battre décide de se coucher pour que l'autre puisse passer par-dessus elle. Elle se couche non pas par lâcheté, mais pour qu'elle-même et celle qu'elle a croisée puissent passer toutes les deux sur le pont.
Comment développer des chemins de non-violence ? Quelles sont les méthodes qui sont à notre disposition ?
Ajoutons que les ennemis ne sont pas qu'extérieurs mais aussi intérieurs : des blessures psychiques, des zones d'ombres inavouables, des émotions perturbatrices. La première étape consiste à connaître ses ennemis intérieurs pour, dans un deuxième temps, travailler dessus et les apaiser. Quels sont donc nos ennemis intérieurs ? Quels chemins emprunter pour se réconcilier avec ces "ennemis intérieurs" ?  Les spiritualités disposent d’outils formidablement efficaces. L’un d’entre eux, décliné de différentes façons selon les contextes religieux, est la méditation.
Jésus invite donc à désamorcer la violence aussi bien extérieure qu'intérieure. Elle suppose un véritable travail intérieur. Il promet à celui qui fait preuve de non-violence une récompense...

 

3/ Quelle récompense Jésus promet-il ?

Quel paradoxe ! Jésus demande de faire le bien sans espoir de retour. « Aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour ». Pourtant, il promet une "récompense".  « Aimez vos ennemis... Alors votre récompense sera grande ».
Quelle est cette récompense ? Elle n’est en aucun cas matérielle : « Vous serez les fils du Très-Haut, car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants ».
"Fils du Très-haut" est une expression très forte. L'ange du Seigneur a annoncé à Marie qu'elle serait enceinte de Jésus qu’il qualifie de "Fils du Très-Haut" (saint Luc 1,32). Le Fils du Très-Haut, c'est donc Jésus, le Fils de Dieu, une incarnation de Dieu, un avatar de Dieu. Autrement dit, le Fils du Très-haut est Dieu.
Ainsi, en aimant nos ennemis, nous devenons des Fils et des Filles du Très-Haut. Nous devenons semblables à Jésus et à Dieu. Nous dévoilons notre image divine qui était cachée. Nous devenons comme Dieu parce que Dieu lui-même aime tous les hommes, les bons et aussi les méchants. Il fait lever le soleil qui éclaire et réchauffe tous sans discrimination. Les bons et les méchants profitent du soleil. La lumière du soleil permet au médecin de voir son patient pour l’ausculter et le guérir. Mais, la lumière du soleil permet aussi au voleur de voir sa victime pour lui arracher son sac.
Dieu est non discriminant. Il est même compatissant, espérant sans cesse que le malfrat s'amende.
Jésus va décliner quelques attitudes à développer pour aimer ses ennemis : « Ne jugez pas, ne condamnez pas, pardonnez ».
Aimer ses ennemis n’est donc pas seulement une exigence pour faciliter le vivre ensemble mais une exigence spirituelle. En effet, ce processus d'amour des ennemis révèle notre divinité intérieure.

Pour conclure :
Il serait intéressant de mettre en perspective l’invitation évangélique d’aimer ses ennemis et la qualité védique Ahimsa
Jésus invite ses disciples (mais aussi tout être humain en quête de progrès spirituel et humain) à aimer leurs ennemis, c'est à dire à leur souhaiter la paix mais aussi à désamorcer la violence tant extérieure qu’intérieure à nous-mêmes.
Par l'amour de nos ennemis, nous deviendrons semblables à Dieu.
Sommes-nous prêts à reconnaître nos ennemis extérieurs et intérieurs ? Sommes-nous prêts à nous engager dans un long et exigeant processus de non-violence envers nos ennemis extérieurs et intérieurs ?