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Abandon, abondance, réussite

 

Swami Veetamohananda

Les religions disent de s’abandonner à Dieu. Pourquoi cet abandon ? Est-il réellement possible ?

 

 

Quand on nous parle d’abandon à Dieu, nous sommes effrayés. Mais le véritable sens de l’abandon est tout à fait différent. Une Upanishad présente une analogie dans laquelle le corps est comparé à un arbre sur lequel sont posés deux oiseaux : l’un mange des fruits amers et en souffre, tandis que l’autre se contente de regarder. Celui qui regarde est le Soi. Le Soi n’est pas affecté par le monde manifesté. L’autre oiseau est l’ego qui mange les fruits durs, et amers. Dans la vie il y a la souffrance et toutes sortes de sophistications, de spéculations et de manipulations. Est-ce à la demande du Soi ? Si notre vie a été construite de cette façon, qui en est responsable ? Devons-nous accuser nos ancêtres, nos parents, ou le monde actuel ? Nous sommes libres mais nous n’avons pas utilisé notre liberté de façon juste, ce qui engendre les difficultés et les souffrances dans notre vie. Comment et pourquoi avons-nous construit notre vie de cette façon, et comment nous sommes-nous ouverts à la réalité du monde manifesté ? En général nous sommes formés pour être ou pour faire ceci ou cela, mais cependant nous sommes libres.

 

Essayons de comprendre, scientifiquement, comment nos cellules nous programment. Une cellule est composée de trois parties : la matière, l’espace et une sorte d’antenne qui reçoit la vibration extérieure, disons la conscience, car la conscience advient par cette antenne, et reçoit énergie et force. Cette conscience et cette énergie entrent dans nos cellules. Si, par exemple, notre mère a été obligée de vivre dans une situation ou un environnement particuliers, par exemple si elle a été opprimée, tout cela affecte nos cellules. Vous pouvez le remarquer chez les personnes nées pendant une guerre, leur personnalité est tout à fait différente, il y a toujours dans leur énergie et leur conscience comme de la peur.

 

Le monde manifesté est plein d’événements. Si nous leur sommes connectés, c’est leur énergie qui devient l’énergie de nos cellules. Par cette énergie, nos cellules se multiplient de telle sorte que l’état de conscience d’un bébé correspond à l’état de conscience de sa mère, à la personnalité de sa mère. Puis le bébé grandit en recevant toutes sortes d’informations. Est-il capable de leur résister ? Les parents sont-ils capables de le protéger de l’environnement extérieur ? Penser à tout cela est important pour véritablement progresser, car l’âme peut devenir prisonnière de forces multiples. C’est pourquoi l’oiseau qui est calme ne mange pas les fruits amers : il regarde. L’autre oiseau mange des fruits agréables, mûrs autrement dit il vit des situations agréables, mais il mange aussi des fruits amers, c’est-à-dire qu’il connaît des situations difficiles et désagréables auxquelles il n’est pas arrivé à résister. Quand les forces extérieures pénètrent, nous sommes entraînés dans la souffrance. C’est ainsi que l’âme est conditionnée. Parfois l’oiseau qui mange se tourne vers l’autre oiseau, vers le Soi – l’oiseau qui est tranquille, calme –vers le bonheur d’être mais il n’arrive pas à maintenir son regard, car tout de suite nous nous laissons affecter par les forces extérieures.

 

Voyons comment nous pouvons nous retirer de ces forces qui nous affectent. Pour y parvenir, nous avons besoin de la force de volonté. La volonté peut tourner sa force pour nous attirer vers l’extérieur, mais cette même force peut être dirigée vers le cœur, le Soi. Au lieu de nous abandonner aux forces extérieures nous devons savoir nous abandonner au Soi qui s’exprime dans notre cœur, ce qui est très difficile si jusqu’alors nous avons vécu notre vie selon le besoin des forces extérieures. Retourner la force de la  volonté vers le cœur demande beaucoup d’efforts. C’est une tâche difficile et nous pouvons être frustrés dans nos efforts. Pour autant, nous ne devons pas nous abandonner aux forces extérieures. Le Soi, le cœur est toujours là. Nous devons avoir foi en lui. La foi est un aspect important. Nous avons la foi en beaucoup de choses mais ce sont des choses temporaires et du coup nous perdons la foi. À l’inverse, la foi en notre cœur est éternelle, elle ne peut pas être détruite par les forces extérieures. Pour abandonner les forces qui nous attirent vers l’extérieur, il faut utiliser la force de notre volonté pour rester connectés avec le cœur.

 

 

Le deuxième aspect important, après la force de la volonté, est donc la foi, la ferme conviction. On pourrait croire que, dans la vie, il y a des choses désagréables et inacceptables qui sont inévitables. Mais ce n’est pas vrai : nous pouvons changer même l’inévitable, même ce que l’on appelle le destin, si notre foi en notre cœur est intense. Dans l’entourage de Ramakrishna, il y avait un acteur de théâtre qui vivait une vie sans discipline, il était alcoolique, mais aussi inquiet, apeuré, frustré. Quand il vint voir Ramakrishna pour la première fois, Ramakrishna était ivre, mais son ivresse n’était pas due à l’alcool, elle était due à la joie du Nom divin. Bien sûr vous pouvez vous demander comment c’est possible. Ce n’est cependant pas très difficile à comprendre. Imaginons par exemple que vous n’avez pas vu votre enfant pendant quelques jours et que soudain il est là devant vous : quelle joie intense alors, vous pouvez en danser de joie, et n’est-ce pas alors une ivresse beaucoup plus profonde que celle obtenue sous l’emprise de l’alcool ? Dans les bhakti sutra, Narada parle de l’ivresse qui naît d’un amour pur intense. Dans cette ivresse, on est inconscient du monde manifesté. Tel était l’état de Ramakrishna, car il était toujours connecté avec le cœur. Quand l’acteur vint chez Ramakrishna, il se trouva donc devant un homme ivre, et sa première question fut de lui demander : quelle marque avez-vous consommée ?

En réponse, Ramakrishna se mit à chanter : « Je n’ai pas bu d’alcool, je chante les noms de la Mère Kali. La Mère est l’amour pur et c’est cet amour qui m’enivre ».

L’acteur comprit que cette ivresse était différente et il demanda comment on peut arriver à la connaître. – « Vous devez vous abandonner à Dieu. » – « Non, c’est impossible, je ne sais pas quel rôle je dois jouer au théâtre ni avec qui et je n’ai pas le temps de penser à m’abandonner à Dieu. Pour oublier mes problèmes je consomme de l’alcool. » – « D’accord, puisque vous avez l’habitude de boire, offrez alors tout à la Mère divine. » Pourquoi offrir ? Quand nous nous mettons à offrir à la Mère divine, nous recevons de l’amour en retour et cet amour commence à se manifester dans le cœur puis, quand il s’intensifie, le besoin d’alcool ou d’autre chose devient moins nécessaire.

C’était cela que Ramakrishna voulait faire comprendre à son visiteur. Mais il n’arrivait pas à comprendre et, après quelques jours, il revint : « Je ne sais pas quoi faire, montrez-moi comment améliorer ma vie. » – « D’accord mais donnez-moi alors votre procuration. » Il la lui donna en pensant que c’était facile. Mais les difficultés ne tardèrent pas à arriver : par exemple quand il voulait boire ou quand il prenait un verre, Ramakrishna apparaissait. L’acteur pensait que c’était une hallucination, Il avait beau essayer de boire, à chaque fois, encore et encore, Ramakrishna apparaissait. Il se précipita chez lui : « Qu’avez-vous fait ? » – « C’est la procuration. » – « Vous n’avez pas le droit ! »

 

Voilà ce qui se passe avec l’abandon. On est totalement abandonné à quelque chose de supérieur. Vous n’avez pas le pouvoir : l’ego ne peut pas faire ce qu’il veut. L’ego se connecte au Soi, l’ego inférieur devient l’ego supérieur. Comme dans l’analogie des deux oiseaux, l’ego ne regarde plus ce qui se passe à l’extérieur.

 

Avec un tel abandon, tout ce que nous possédons, notre famille vont-ils disparaître ? Non, mais grâce à l’abandon nous saurons comment utiliser tout ce que nous possédons. Par exemple, vous pouvez dire que vous aimez votre enfant mais cet amour dépend en réalité de l’état de votre être : si vous vous disputez avec votre mari ou votre épouse, la vibration de cette dispute va s’exprimer dans vos cellules, que vous le vouliez ou non, et même si vous dites « je t’aime » à votre enfant, cela ne passe pas, l’enfant a une forme de rejet. Les cellules ont en effet la capacité non seulement de recevoir les ondes des émotions ou des pensées mais aussi de les renvoyer. Ici l’abandon signifie nous abandonner à l’état d’amour de pure conscience. Pour ne pas être affectés par les forces extérieures, nous avons besoin de la force de volonté qui refuse d’être affectée par tout ce qui se passe. Comme les fake news, pourquoi s’identifier  aux fake news ? Si vous avez bien analysé, vous aurez pu remarquer qu’il y a toujours une manipulation des actualités qu’on nous propose. Dans le domaine de la technologie on peut manipuler les choses pour les rendre agréables ou désagréables. C’est ce qui se passe dans le monde. La personne établie en elle-même refuse d’être connectée à cela. Ce refus demande la force de volonté, qui elle-même a besoin de pureté, de pureté du cœur.  Nous devons intensifier cette force de volonté. Nous avons besoin aussi de cette conviction ferme : c’est le cœur qui me sauve. Nous dépendons des forces extérieures pour nous sécuriser, mais peuvent-elles nous donner la sécurité ? La sécurité aussi dépend du cœur. Par exemple, nous avons la sécurité sociale, la personne qui s’occupe de notre dossier fait une erreur et le médecin n’arrive pas à lire notre carte vitale. Si le médecin est établi dans le cœur, il vous soignera et vous donnera les médicaments nécessaires. C’est ce qui est arrivé avec le dentiste de notre village : il refusait d’être payé et offrait même des fournitures dentaires. Sans le cœur, il n’y a pas de garantie ; c’est le cœur qui guérit les maladies. N’importe quelle situation désagréable est facilement éliminée par le cœur. Cependant, maintenant que nous sommes convaincus que c’est le cœur qui guérit tout, si nous nous abandonnons nous-mêmes au cœur, peut-on être certain de tout ? Oui. Voici deux exemples.

 

Aujourd’hui nous fêtons l’anniversaire de Ramakrishna. Il était prêtre du temple de Kali, recevait un salaire, puis vint la retraite. Il continua d’exercer son ministère spirituel au temple et le directeur avait l’habitude de lui verser un salaire tous les mois. Un jour des responsables, nouveaux au temple, vinrent lui dirent qu’il n’avait plus droit de toucher un salaire puisqu’il était à la retraite. Ramakrishna leur dit que c’était la règle et qu’ils devaient verser sa retraite – ce qui nous indique qu’être spirituel ne signifie pas abandonner face à des situations injustes. Notre vie doit être construite selon les valeurs éternelles. Bien sûr, dans le monde matériel, nous rencontrons des forces qui nous manipulent, qui nous attaquent. Dans le cas de Ramakrishna c’était un malentendu, les responsables n’étaient pas au courant. Voici le deuxième exemple : des responsables dirent à Ramakrishna qu’il devait partir et vider sa chambre. Ramakrishna était sans aucune inquiétude. Il prit son châle et il était sur le point de partir quand quelqu’un lui demanda où il allait ; Ramakrishna ne le savait pas, mais il était sans peur, sans anxiété. Soudain quelqu’un arriva et lui dit : « C’était une erreur, revenez ! Veuillez nous pardonner ! Un cœur pur est sans inquiétude, pareil à enfant qui n’est jamais inquiet puisque sa mère lui donne tout ce dont il a besoin. C’est la confiance dans la réalité absolue, elle qui nous donne tout ce dont nous avons besoin,  qui nous sauve.

 

Voyons maintenant s’il est possible de construire notre vie dans le monde actuel de cette façon.

 

Notre monde n’est pas différent du monde ancien ou à venir. Peut-être le monde futur entre-t-il dans une vie tribale, dans laquelle l’ego seul est concerné, sans connexion avec les autres. L’individualisme s’intensifie. Voulons-nous entrer dans une époque où règnera l’individualisme, l’égocentrisme, entraînant toutes sortes de cruautés, de rejets ?

 

Il ne s’agit pas d’abandonner ce qu’il est légitime de garder. L’abandon signifie retour vers la source. La source nous donne en abondance. Le soleil nous envoie tous les jours ses particules, la nature nous donne et jamais ne nous réclame quoi que ce soit. À l’inverse, l’être humain détruit tout par égoïsme. Nous devons donc abandonner tout ce qui est désagréable, tout ce qui nous détruit et qui ne nous aide pas à progresser. Quand nous sommes capables d’éliminer tout cela, l’abondance commence à s’exprimer dans notre personnalité. La personnalité devient acceptable, agréable, une personnalité progressive.

 

Voilà le secret de la réussite. Sinon, comment appliquons-nous notre intelligence, comment l’exprimons-nous ? Où est la force ? C’est pourquoi nous disons dans la méditation guidée que la pure conscience, l’expression de la pure conscience est harmonie d’énergie pure, elle est la lumière intérieure, la luminosité intérieure, elle est le scintillement du Soi, elle est la beauté. Si cette lumière ne s’exprime pas, notre peur reste. Ce qu’on appelle beauté est en réalité l’expression, en nous, de la source : le Soi. Et cette beauté et cette harmonie s’expriment comme amour et intelligence. Le Soi est la source de l’intelligence, de la connaissance, de notre personnalité réelle. Nous devons nous abandonner à cette réalité au lieu de nous abandonner aux choses qui nous limitent, nous conditionnent, nous contrôlent et qui apportent toutes sortes de frustrations.

 

Dans le domaine religieux, dans la voie de dévotion, il y a abandon, mais alors nous avons besoin d’un dieu personnel à qui s’abandonner, besoin d’un support personnel pour nous concentrer parfaitement et besoin aussi de cette conviction ferme que c’est Dieu qui nous sauve.

 

Les événements agréables de notre vie sont un don de la grâce de Dieu, et la souffrance un autre cadeau de Dieu. C’est difficile à accepter. Pour un esprit religieux, Dieu apporte la sécurité. Pour nous qui sommes à l’époque des sciences et des technologies, cette pensée semble bizarre, mais il y a une réalité derrière cette façon de penser et construire sa vie. Pour nous c’est un peu difficile si nous ne sommes pas nés dans ces traditions. Inondés que nous sommes par les pensées scientifiques, nous sommes dans la confusion. La simplicité est absente, nous avons besoin de quelque chose de sophistiqué pour comprendre. Un roi vivait au milieu de toutes sortes de sécurités, armée, gardes du corps, etc. Un jour, alors qu’il pratiquait la méditation, un garde du corps vint lui annoncer que le pays était attaqué par l’ennemi. Le roi lui répondit : « D’accord, le Seigneur nous protégera ». Il continua à méditer. Qu’arriva-t-il ? L’ennemi fut attaqué et chassé par une armée inconnue, conduite par le Seigneur lui-même, qui était devenu chef des armées. Pour nous, avoir cette forme de foi, de conviction, est très difficile. Mais nous pouvons en faire l’expérience. Si vous êtes dans une situation difficile et que vous ne savez pas quoi faire, restez tranquilles, sans panique, et dites-vous : « Tout ce que veut Dieu, c’est que je m’abandonne ». Il est certain qu’un tel calme et une telle foi feront baisser l’intensité de la situation. Comment ? Parce qu’au lieu d’être affectés par les ondes de la situation extérieure, vous demeurez tranquilles et calmes si bien que les ondes qui émanent de votre personnalité ne peuvent pas se connecter avec les ondes agressives et l’opposant lui-même à son tour devient calme, ce qui ouvre la possibilité de réagir de façon juste. C’est le calme du Soi. Quand vous restez calmes vous êtes dans le Soi.